Survivre aux Jeux olympiques (et à l’omniprésence du sport en général)

Suggestions pour celles et ceux 
qui n’en peuvent plus d’entendre parler du sport et des sportifs

Vous n’en pouvez plus d’entendre parler de sport 24 h sur 24. Vous avez le sentiment d’être la victime de ce que vous vivez comme une agression permanente visuelle et auditive du sport spectacle, dans la rue, dans les médias, sinon jusque chez vous, sur vos écrans, dans vos magazines. Vous vous agacez lorsqu’on essaie de vous convaincre sinon de vous convertir avec insistance et en permanence au spectacle et au commerce du sport. Vous abhorrez la pression sociale et son injonction à vous intégrer à une norme qui voudrait que vous soyez forcément passionnés par le sport et les sportifs. Vous êtes exaspérés par le matraquage médiatique parce que vous n’avez jamais trouvé un quelconque intérêt au spectacle du sport professionnel. On vous considère comme des pisse-froid, des élitistes méprisants de ce qui serait une « culture » et des plaisirs populaires massifs, et donc supposés universels, et donc forcément respectables. Votre aversion prononcée pour l’omniprésence des discours et du spectacle des sportifs professionnels dans la société et les médias est interprétée comme une forme de mépris de classe de votre part. La légitimité de vos pensées hostiles au sport et son cortège d’inepties vous est même déniée.

Sachez que vous n’êtes pas seul-e. Nous sommes même légion.

Il y a d’ordinaire le football, permanent — on lui rajoute même continuellement des coupes et autres tournois, de crainte qu’il ne reste des créneaux vides, soit des occasions ratées de faire circuler des masses colossales de fric, de diffuser des tombereaux de publicités, de s’abrutir et de s’entretuer en vomissant et braillant dans les tribunes. On vous chante les vertus des joueurs, leurs salaires. On vous commente leurs déménagements, leurs soucis physiques, leurs moindres faits et gestes.

Nous subissons. Nous sommes une foule silencieuse qui s’en fout royalement de ces gens qui tapent dans un ballon. Mais voilà : on ne cesse de nous en parler.

Et il y a les autres sports tout aussi omniprésents. Toujours les mêmes propos, les mêmes commentaires sans intérêt, le même matraquage médiatique. On sort du tennis, c’est le cyclisme, puis le rugby, le hand-ball, le basket ou je ne sais quoi, et ainsi de suite. On vous vend maintenant la beauté du MMA, de l’ultraviolence interdite il y a encore quelques années. Un fou libertarien et transhumaniste veut créer des compétitions d’athlètes bidouillés artificiellement augmentés, dits « améliorés avec la science » (https://enhanced.org/). C’est davantage qu’un décervelage torrentiel permanent, c’est une folie collective. On nous clame que c’est formidable.

Nous sommes nombreux, saturés, à en être nauséeux.

S’ajoutant à cette hystérie permanente, voici cette année en France les Jeux olympiques et paralympiques. Voici ces kyrielles d’athlètes qui nous saoulent de leurs nombril, ego, petits bobos ou grosses blessures qu’ils s’infligent d’ailleurs sans qu’on le leur ait demandé quoi que ce soit ; autant d’avanies qui sont censées nous concerner, nous tenir en haleine… et tous leurs autres minuscules problèmes absurdes, leurs immenses vanités dérisoires étalées sans vergogne d’un air toujours candide et positif, auto satisfait, certain de sa nécessité. Pourtant : si n’importe quelle autre professionnel, n’importe quel artiste ou créateur se répandait de telle façon et à un tel volume à propos de sa marotte et de sa personne, vous ne le supporteriez longtemps.

Nous, qui ne partageons en rien ce que vous considérez comme des passions, devons vivre au milieu de ce cirque.

Les sportifs professionnels sont formidables. Ce qu’ils font est « magique », « c’est du rêve », « de l’espoir ». On nous le serine, voire : les sportifs nous le rabâchent eux-mêmes, dépensant autant d’énergie pour courir vers, lancer des, taper dans des trucs et des machins eux aussi pour nous en persuader. Injonction nous est faite de compatir et de nous attrister lorsqu’ils ne peuvent exercer ce qui n’est pourtant que leur propre quête. Un professionnel de la course à pied — un type, une nana névrosés et conditionnés, drogués par leur propre métabolisme à en courir des dizaines d’heures d’affilée — ont du mal à gagner leur vie ? On le déplore. On s’en navre. Or c’est indécent. Hormis courir, que fait-il, que fait-elle ? Pourquoi, parce que ce type veut être payé pour simplement courir devrais-je m’en passionner, le prendre pour modèle, m’en inspirer, l’admirer ? En quoi courir ou gesticuler selon telle ou telle règle — décidée en haut lieu par des pontes en surpoids ponctionnant leur dîme sur la sueur et la douleur des sportifs — pour initialement satisfaire à ses propres ego, plaisir ou névrose, pourrait d’ailleurs se prévaloir d’être une profession ?

Les Jeux olympiques et ces hordes de journalistes excités enrôlés en brigades d’acclamation déplorent ces temps-ci que nous ne soyons jamais assez « à la fête », que nous n’adhérions pas assez vite à toutes les prétendues saines valeurs présentées comme universelles du sport professionnel — inclusion, égalité, dépassement, abnégation ou je ne sais quel argument démagogique et depuis longtemps vain, car détourné en une culture de la compétition qui sert la marchandise, l’idéologie du travail, la productivité, l’exploitation, la domination.

Les valeurs du sport seraient extraordinaires — quelles valeurs déjà ? Hormis, admettons, celles sanitaires, médicales et de lien social du sport lorsqu’il est pratiqué en amateur, les « valeurs » du sport professionnel, ne sont plus que financières. On nous dit ainsi qu’il est regrettable que le chiffre d’affaires des magasins de fringues, d’articles et de bimbeloterie de sport ne soit toujours pas à la hauteur attendue ces derniers temps et qu’il faudrait tout de même faire des efforts, que ça décolle enfin ! Il conviendrait de lâcher votre thune et de vous trimballer en maillots floqués, de brandir des mugs et des pins. Faites ce qu’on vous dit.
On déplore que les Français soient préoccupés par l’avenir de leur beau pays qui va si bien, au détriment de la grand-messe du sport. Une ministre idiote et en sursis va jusqu’à barboter dans la Seine dégueulasse pour stimuler l’intérêt des foules jugé trop mollasson. C’est obscène. Mais hélas, cela finira par prendre.

La fête de quoi ? De qui ? Du pain et des jeux : air connu. Pauvreté d’un spectacle toujours identique puisque consistant simplement à aller toujours plus loin, plus haut, plus fort ? Quel sens cela a-t-il ? En quoi, encore une fois, est-ce admirable ?

Par pitié, si cet abrutissement pouvait cesser.

On ne nous voit pas, on ne nous entend pas, mais nous existons : nous sommes ceux menés à la détestation par saturation, parce que nous n’avons cure de votre sport, de votre Pierre de Coubertin, ce raciste misogyne colonialiste, de cette mascarade du nationalisme et du pognon, de la vente de merdasses dérivées et franchisées fabriquées par des gosses asiatiques. Et nous haïssons votre spéculation, votre occupation du temps de cerveau, votre immobilisation des masses devant leurs écrans ou sur des gradins loués à prix d’or, vos disciplines sportives comme autant de machines à corrompre, votre aspirateur à pensées et argent, vos magouilles, vos tambouilles pour le fric, le pouvoir ou l’ascendant permettant de tripoter des gamines, d’embrigader des enfants avant de les jeter s’ils ne sont pas assez performants, tout en reproduisant à l’envi la domination masculine.

Bien sûr, il y a ces millions d’enthousiastes et de convertis qui se pâment devant le moindre athlète égotiste : certes, c’est leur droit à ces foules, c’est leur goût et tant pis pour elles, dommage pour nous, les rétifs. Ces foules qui se gaveront, digéreront et roteront sans faillir la geste et les performances prétendument spectaculaires et vécues par procuration de sportifs devenus accros de leurs propres hormones, dopés au dernier cri d’une chimie toujours plus fourbe et furtive, futurs décédés prématurés, cassés et réparés de partout, aux musculatures qui se hâteront tôt d’être flasques et effondrées dès lors qu’elles ne seront plus entretenues de façon forcenée.

On n’en veut pas, on en peut plus déjà de vos J.O. Et ne nous chantez pas que « ce n’est pas parce que vous n’aimez pas ça qu’il faut chercher à en dégoûter les autres »… Car ce n’est pas parce que vous aimez ce vide abyssal qu’il faut que nous l’adulions, que nous devrions y être en permanence confrontés, que nous devons endurer votre suprématie écrasante, oppressive. Cela ne vous octroie pas le privilège d’être exempts de toute opposition. Cela ne nous ôte nullement le droit de nous taire.

Se préserver des J.O ?
Quelques suggestions parmi lesquelles choisir

Pour mes semblables accablés, submergés voici quelques, hélas dérisoires conseils pour traverser cette période détestable des Jeux olympiques, pour survivre à cette exacerbation de la propagande sportive contre laquelle nous ne pouvons rien puisqu’elle rend tant de foules extatiques. Stratégies de survie et de contournement bien minces, mais qu’il convient de rappeler :

• Exilez-vous des médias :
éteignez tous vos appareils connectés. Adoptez un mode de vie analogique en délaissant télévision, Internet et radio. Prenez un bouquin, regardez un film. Surtout, choisissez du lent, du moins haut, du moins fort. Si la déconnexion totale vous paraît trop difficile, radicale, installez des bloqueurs de contenu et des filtres pour éliminer toutes les mentions des Jeux olympiques et des sportifs. Zappez les articles de sport dans la presse… Voire : ne lisez pas la presse du tout, car leur sport va se répandre dans toutes les rubriques et rien ne sera plus considéré hors son prisme.

• Réfugiez-vous dans ce qui élève :
plongez-vous dans des œuvres d’art, des expositions, et des musées qui n’ont aucun rapport avec le sport (https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/les-expositions-a-voir-cet-ete-a-paris-ou-ailleurs-sans-aucun-rapport-avec-les-jeux-olympiques_236734.html). Musclez-vous la culture, musclez-vous l’intellect et laissez-les chouiner leurs tendinites. Choisissez des films et des livres qui célèbrent l’antithèse du sport, tels que des comédies satiriques ou des romans philosophiques. Faites une cure, une « détox » des sanies du sport. Confortez ainsi vos convictions : vous êtes dans le vrai.

• Pratiquez des activités solitaires et réfléchies :
plantez des fleurs, cultivez des légumes, et laissez la nature vous rappeler que le vrai triomphe réside dans la patience et la croissance lente. Regardez les plantes croître et monter vers le ciel. Bricolez, décorez, cousez… Que sais-je ? Fabriquez quelque chose qui sera plus utile, qui vous sera plus utile que ce que font ces gens qui courent dans le seul objectif de courir. Créez et imprimez des T-shirts affichant des slogans hostiles au sport. Portez-les ostensiblement face aux ayatollahs de la dépense physique excessive et inconsidérée.

• Adonnez-vous à des activités ludiques, immobiles : puzzle, jeux de société… les possibilités de dérivatifs statiques sont nombreuses. Votre inertie sera un geste fort contre le bougisme fanatique.

• Documentez vos pensées et vos frustrations :
l’écriture est un exutoire puissant pour exprimer votre aversion face au battage médiatique et garder la raison dans un monde absurde. Écrivez par exemple pour vous défouler, pour apaiser vos tensions, un article sur la survie en période de Jeux olympiques. Vous lirez les commentaires hostiles et probablement stupides que cela générera : ce sera un plaisir de gourmet. Peignez, sculptez, bâtissez… Idée : créez des poupées vaudou à l’effigie de sportifs et de journalistes. Plantez-y avec ravissement d’interminables aiguilles. Oui, offrez-vous  l’exutoire.

• Soyez solidaires et partagez votre avis :

rejoignez ou créez des groupes de discussion où l’on célèbre l’esprit critique et la réflexion, loin des exploits physiques qui n’ont transcendé personne ni jamais aucune société. Échangez avec d’autres, oppressés par le bourrage de crâne. Libérez-vous par la parole en ne craignant pas d’employer des formules simples comme : «Merci de m’accueillir. Je suis enchanté de rencontrer des personnes lucides avec qui je peux échanger sur à quel point ils nous font vraiment tous chier avec leur putain de sport ». Organisez des événements où l’art et la pensée priment sur la compétition et la funeste gloire sportives. Ne proposez jamais rien à gagner.

• Découvrez l’ailleurs, l’autre, que le sport n’a pas envahi :

fuyez les villes bruyantes et les écrans omniprésents, les « fan zones » et autres enclos pour bovins, en vous réfugiant dans des lieux ouverts, reculés et paisibles. Baladez-vous lentement, randonnez en veillant à ne pas céder à la moindre tentation de performance. Profitez de cette période pour voyager dans des régions ou des pays qui ne suivent pas intensément les Jeux olympiques. Vous y découvrirez des cultures et des traditions qui vous enrichiront. Voire : nombreuses sont les destinations exempts de l’idéologie sportive : ce sont en général des pays ravagés par la misère ou la guerre — s’ils n’ont plus de médias pour les distraire en les cantonnant dans leur condition. Vous pourriez même y faire de l’humanitaire auprès de pauvres hères qui ont bien autre chose à penser que de juguler leurs apports en calories, de calculer leur plan nutrition et autres sujets diététiques, ou de développer une musculature sur des membres qui de toute façon ont été déchiquetés — et n’écoutez pas l’histoire du gamin des bidonvilles au pied agile qui devient milliardaire. Pour un gagnant, des milliers continueront de crever de faim en se taisant parce que fascinés par l’hypnotisme sportif.

• Cherchez la sérénité :

un exemple, le yoga. Contrairement à ses déclinaisons, détournements et dérives sous des formes commerciales innombrables, ce n’est initialement pas un sport. Il peut vous convenir. Revenez à ses fondamentaux et pratiquez-le. Méditez pour atteindre un état de sérénité intérieure, loin des braillements de gradins. Vous pouvez d’ailleurs le faire sur un sujet d’actualité. Ainsi : « ai-je raison d’en avoir rien à foutre de leur sport ? » (réponse : oui). Adoptez des pratiques de pleine conscience — c’est à la mode, mais pour cette fois, cédez à celle-ci — pour vous ancrer dans l’instant présent et ignorer le tumulte extérieur. Vous apprendrez bien davantage que la réponse à la problématique vulgaire du sportif consistant à se demander « comment pourrai-je faire mieux la prochaine fois ? ».

Non, vous n’êtes pas seul-e dans votre quête d’évasion. Le véritable triomphe résidera dans notre capacité à préserver notre tranquillité d’esprit face aux assauts incessants de la sous-culture du sport.

Vous y parviendrez. Nous y parviendrons — et nous n’en attendrons aucune médaille.