Comment mettre en forme les dialogues dans une fiction ? On m’a souvent posé la question lors de mes ateliers d’écriture. En faisant du ménage dans mon ordinateur, je viens de retrouver ce texte, écrit en réponse à une participante…
« La règle pour les dialogues, c’est quoi ? » demanda Anne.
Le vieux typographe soupira et lui répondit : « Tu ouvres les guillemets et les refermes s’il y a du texte derrière. »
Il savait que ce n’était pas la règle classico-classique, mais celle la plus souvent en usage actuellement dans la plupart des ouvrages.
« Et pour le tiret ?
— Tu mets un tiret long pour la réponse si la phrase de dialogue du dessus n’est pas suivie d’un texte, et les guillemets sont fermés après une incise, sauf si le dialogue continue.
— OK, je comprends. Donc, si j’ai une réponse avec un tiret et qu’il y a du texte derrière, je dois la fermer avec un guillemet ? »
Le vieux typographe hocha la tête pour approuver. La règle contemporaine était simple et facile à appréhender, bien différente des usages historiques. Les gens l’intégraient en général très vite. C’était juste une question de réflexe à acquérir, et visuellement, c’était intuitif.
« J’ai compris », conclut Anne, « désormais, je l’appliquerai naturellement.
— Bravo ! » fit le vieux typo. « Et pense aux virgules entre les deux parties de ta tirade, mais je vois que tu viens de le faire correctement. C’est important pour faciliter la lecture. Si tu fais des concours de nouvelles, ou autres. »
Une lueur de tristesse passa furtivement dans son regard. Il ajouta :
— Des éditeurs parfois commencent d’emblée avec le tiret, et omettent les guillemets, comme cela, à l’arrache. C’est devenu n’importe quoi. Cela griffe les yeux, dit-il d’une voix brouillée par l’émotion au point qu’on ne distinguait que très mal son propos.
Anne et le vieux typo restèrent silencieux un moment. Des quantités invraisemblables de récits sans respect des codes du dialogue remontaient dans la mémoire d’Anne. Elle se souvint par exemple d’une édition d’un roman de Roddy Doyle, Les Commitments, dans lequel huit protagonistes discutaient à bâtons rompus — et on n’y comprenait plus rien à cause de l’absence des codes typographiques.
C’est alors qu’un bruit terrible retentit au-dessus d’eux. Des hommes nantis de dictionnaires et de codes typographiques surgirent d’un trou découpé dans le plafond. C’était une intervention d’urgence de la brigade réactive orthotypographique. On venait de leur signifier une alerte après la dernière remarque du vieux. Après quelques vérifications de routine et un échange avec Anne et le typographe prouvant qu’il n’y avait eu qu’une seule erreur dans l’échange, le commandant appela le central :
« Tout va bien, il n’y a pas de dommages. Ce n’était qu’une alerte mineure de niveau 1. Rien de grave. Cela peut être aisément corrigé.
— OK. Alors, revenez vite à la caserne », fit l’homme de permanence au standard, « avec tout ce bazar chez les éditeurs, les gens ne s’y retrouvent plus dans les dialogues, et je sens qu’on va encore crouler sous les alertes. »
Le commandant fit un signe de tête à ses hommes en direction de la sortie. Encore une journée d’astreinte qui allait être chargée. C’est quand même un drôle de métier que le nôtre, pensa-t-il en italiques et sans guillemets — tout en sachant qu’il y avait toutefois d’autres choix stylistiques possibles, et espérant que sa hiérarchie ne le chagrinerait pas sur ce point.